Le dissident Edouard Limonov réagit au prix Renaudot 2011: «J'éprouve une joie méchante»
Il a rêvé toute sa vie d'être un écrivain reconnu. Aujourd'hui, ce ne sont pourtant pas ses livres, mais sa vie, racontée par un autre, qui s'est vu décerner le prix Renaudot, soit l'une des plus prestigieuses récompenses littéraires françaises. Edouard Limonov, dissident et écrivain russe, a réagi hier depuis Moscou à la consécration du roman d'Emmanuel Carrère, dont il est le grand sujet.
«C'est comme si j'étais un écrivain mort et oublié depuis vingt ans et que maintenant on me redécouvrait, a dit Limonov à l'AFP. J'éprouve du plaisir, de la joie et même une joie méchante (...) la société et l'opinion française qui voulaient que je sois politiquement correct ont dû finalement m'accepter tel que je suis grâce à ce livre». Si Limonov avoue être satisfait de cette reconnaissance romanesque, il refuse cependant de se prononcer sur le livre: «J'avais déjà dit à Emmanuel que je ne dirais pas ce que je pensais de son livre. C'est son oeuvre à lui, sans parti pris. (...) Il s'est donné beaucoup de mal, il a remué toute ma vie».
En découvrant le roman de Carrère, les lecteurs ont pu remarquer en effet la façon dont l'écrivain français s'est entièrement approprié la vie d'Edouard Limonov, auquel il n'hésite d'ailleurs pas à se comparer: «Tout ce que je voyais, c'est que lui était à la fois un aventurier et un écrivain publié, alors que je ne serais jamais ni l'un ni l'autre (...)», écrit-il en se souvenant de ses premières rencontres avec Limonov. Carrère, face au voyou téméraire, voyageur, avoue son propre échec: lui aussi, dans sa jeunesse, a tenté sa chance en Indonésie. En vain. Trop premier de la classe, trop bourgeois et parisien, pas l'âme d'un guerrier punk. Aujourd'hui, la balance s'est-elle inversée? Edouard Limonov, qui n'a jamais conquis en France que des happy few avec ses principaux romans (Journal d'un raté ou , ne pourrait-il pas se dire que Carrère a réussi tout ce que lui a raté, à savoir faire de sa vie un roman à succès, lu et admiré par le plus grand nombre?
Si l'on s'en tient au portrait de lui que fait Carrère dans son livre, Edouard Limonov, loin de se sentir dépossédé de son existence, devrait trouver une immense satisfaction à voir sa vie transformée en un tour de plume en vrai chef d'oeuvre. Car Limonov, parmi les multiples traits de caractère — souvent contradictoires — qui le définissent, est esthète, mégalo, généreux et très bon lecteur.
Lire la chronique de Limonov d'Emmanuel Carrère.
«Premiere», 03.11.2011