»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



Die unautorisierte Webseite zum Buch.
Von den Machern von Limonow.de

zurück

Marx, Limonov et Petrovitch

Arnaud Viviant

Marx et ses esclaves

Faisons comme nos ennemis, commençons par parler chiffres: le nouveau numéro de la revue Europe consacré à «Marx et la culture» vaut 18, 50 euros. Ce n’est pas rien. Pourtant, on peut vous assurer qu’entre sa valeur d’échange et sa valeur d’usage, ça les vaut. Rien que les quatre pages que le romancier Pierre Bergounioux a écrites sous le titre Et maintenant? valent à elles seules, de notre avis, la moitié de ce prix. On aimerait bien les citer in extenso, mais pour le coup, on n’en a pas les moyens… Dans ces quatre pages, bien serrées comme un expresso italien, Bergounioux synthétise l’histoire depuis ses origines jusqu’à aujourd’hui, de ce que Badiou appellerait «l’idée du communisme». Mais l’écrivain n’utilise, lui, jamais ce mot. Il écrit plutôt: «Sous la seule réserve d’admettre que nos pensées ne sourdent pas mystérieusement, comme par génération spontanée, des ténébreux replis de notre cerveau, mais reflètent, fût-ce en les diffractant, les structures de la vie matérielle, une chose s’impose à l’évidence: le marxisme est vivant, valide, en raison même du fait que le capitalisme demeure le mode de production régnant. Il constitue, comme du temps de Sartre, déjà, l’horizon indépassable de notre temps.» Le texte est d’un radicalisme doux, à la fois sec et étrange. Il est moins dans la sphère des idées pures que d’une réalité et d’une condition humaine dont l’écrivain se fait garant. Il brosse l’aspiration d’égalité, toujours présente tant que le monde sera divisé entre exploités et exploiteurs. Il constate l’échec du système soviétique: «Ceux auxquels incombait la tâche sacrée d’édifier une société sans classe ont failli» et il les traite d’imbécile. Dans le reste du dossier, on apprend tout du soubassement littéraire du Capital, du vouloir devenir écrivain du jeune Marx qui engendra une dépression à 24 ans durant laquelle il découvrit Hegel. On saura qu’Eisenstein voulait filmer Le Capital (juste après avoir songé à filmer Ulysse de Joyce). Et on se réjouira en lisant que Karl Marx, quand il montrait les livres de sa bibliothèque, disait: «Ce sont mes esclaves.»

Communisme du coeur

On arrive un peu tard, ce pour quoi on sera bref. On imagine (sans doute à tort) que tout le monde a déjà lu Limonov d’Emmanuel Carrère, surtout par chez nous. Le livre commence en tout cas par une excellente citation de Vladimir Poutine: «Celui qui veut restaurer le communisme n’a pas de tête, celui qui ne le regrette pas n’a pas de coeur.» Elle est contrebalancée, au milieu de l’histoire, par un sutra bouddhique selon lequel «l’homme qui se juge supérieur, inférieur ou même égal à un autre, ne comprend rien à la réalité». Pris entre ces deux pensées qui communiquent plus qu’elles ne s’affrontent, Carrère raconte la vie aventureuse de Limonov, écrivain, soldat, homme politique, actuel dirigeant du parti national bolchevique en Russie. Drôle de livre: son message n’est pas clair. Est-ce, par la biographie de cet écrivain russe débraillé, un peu punk, l’acte de contrition d’un petit-bourgeois décalé (Carrère) ayant passé la cinquantaine et qui regrette de ne pas avoir mis les mains dans le cambouis, de ne s’être pas mêlé à l’Histoire? Ou est-ce au contraire le roman d’un qui considère que le mieux est encore d’adopter une posture yogique «au milieu des eaux glacées du calcul égoïste»? Encore une fois ce n’est pas clair. Mais peut-être est-ce justement la force de ce livre que chacun puisse en faire politiquement ce qu’il veut.

Spiderman est un Gogol

On reste dans une idée russe de la littérature avec Un certain Petrovitch de Fabrice Lardeau, un conte réécrivant une version moderne de la célèbre nouvelle Le Manteau (1841) de Nicolas Gogol. On connaît l’histoire: Akaki Akakievitch, un petit fonctionnaire de Saint-Pétersbourg, n’a d’autre rêve que de s’acheter un manteau pour l’hiver ; il y parvient au prix de sacrifices inouïs, mais on le lui dérobe. Il en meurt. La nouvelle s’achève sur un épilogue fantastique: le fantôme du héros hante les rues de Saint- Pétersbourg pour arracher des manteaux aux hauts fonctionnaires (la classe).

Ce qui nous donne dans la version Lardreau: Petrovitch, petit comptable parisien, se prend pour Spiderman. Du coup, la description minutieuse de la vie du comptable, qui donne à voir toute une société souterraine (métro, boulot, dodo), bascule à tout moment dans une vision fantastique que Lardreau, un peu comme Gogol, semble à peine maîtriser. Voici Petrovitch à l’école des super-héros. Voici Petrovitch au journal de 20 h 00. Voici Petrovitch à l’Élysée en train de rencontrer un autre Nicolas. Bref, le programme du Manteau (divorce entre les apparences, le rêve et la réalité, jusqu’au fantastique) est donc réactualisé ici grâce à la guerre froide que se livrent culture «basse» et culture «haute». Un certain Petrovitch c’est Marvel contre Gogol, mais tout contre, et pour ainsi dire avec. Mais ça marche quand même à l’ancienneté: à la fin du conte, c’est moins de voir (ou revoir) Spiderman II qu’on a envie, que de lire (ou relire) tout Gogol.


«Regards», 30 octobre 2011

Eduard Limonow

Original:

Arnaud Viviant

Marx, Limonov et Petrovitch

// «Regards» (fr),
30.10.2011