»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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Emmanuel Carrère écrit le roman russe d'Edouard Limonov

Thomas Flamerion

Emmanuel Carrère est de retour chez P.O.L avec Limonov. [Ecarté par le jury Goncourt, Emmanuel Carrère a reçu, mercredi 2 novembre, le pric Renaudot pour Limonov chez P.O.L.] Une biographie de l’écrivain rebelle russe en voyou versificateur et en milicien armé, en amoureux floué et en amant compulsif, en fondamentaliste bolchévique et en politicien exalté, rompu à la loi du plus fort comme à l’opposition de principe. Un type pas très fréquentable, aussi charismatique que marginal.

Incroyable parcours que celui d’Edouard Savenko. Né en 1943 d’un militaire ukrainien sans panache et d’une mère impitoyable qui lui apprend «à frapper le premier», il est élevé dans le culte de la victoire russe sur les nazis. A Kharkov, où il grandit, plus mort que vivant, pas d’horizon. Alors, pour s’évader de ce «trou du cul du monde», Edouard fraie avec la racaille, malmène les filles, boit. Il veut devenir «un homme qu’on ne frappe pas parce qu’on sait qu’il peut tuer». Mais c’est finalement par la poésie qu’Edouard s’échappera, l’art russe consacré et vénéré par tous, de la rue aux organes du pouvoir en passant par la sourde dissidence. Il fréquente alors la société des lettrés de Kharkov, des poètes de seconde zone qui admirent Mandelstam, Tsvetaeva, Brodsky. Mais l’admiration, Edouard la veut pour lui. Il lui faut un nom d’artiste, ce sera Limonov, de limon, le citron, et limonka, la grenade. Avec Anna, sa maîtresse à moitié folle qui tient salon à Kharkov, il monte enfin à Moscou.

Devenu tailleur presque par accident, Edouard survit, compose avec ses frustrations d’artiste et ses rêves de grandeur. Abandonnant Anna, il devient roi de l’underground moscovite dans les bras d’Elena, une beauté de classe A, et s’envole enfin pour l’Amérique. New York, l’autre côté du miroir. Mais après des premiers pas dans la haute société, c’est la descente aux enfers. Un temps journaliste dans une gazette pour immigrés, Edouard ne parvient pas à s’imposer dans un monde où, il le sait, il n’est pas à sa place. Lorsqu’Elena le quitte, désespéré, il traîne dans les bas-fonds de la ville, se donne à des vagabonds noirs par défi et compose ce qui sera le premier d’une longue série de livres autobiographiques, Le Poète russe préfère les grands nègres. Entré au service d’un riche new-yorkais, Edouard ronge son frein en rêvant de tirer à vue sur les privilégiés qui l’entourent. Refusée par les éditeurs américains, sa prose irrévérencieuse séduit les Français. Ils aiment cet écrivain qui raconte sa vie de looser héroïque dans «un style simple, concret, sans chichis littéraires, avec l’énergie d’un Jack London russe».

A la galère et aux soumissions new-yorkaises succèdent les heures de gloire parisiennes. Limonov devient «la coqueluche du petit monde littéraire», il publie à tour de bras, s’acoquine avec les fauteurs de trouble emmenés par Jean-Edern Hallier. Mais le succès littéraire ne lui suffit pas, il lui faut de la castagne. Son goût du sang et de la poudre le pousse alors à s’associer aux milices serbes contre le reste du monde pendant les guerres balkaniques. Puis à soutenir la tentative de putsch en 1991 à Moscou et à fonder le parti National-Bolchevik russe, amalgame de fascisme et de communisme, entouré d’une poignée de cranes rasés qu’il recrute lui-même. Avant de passer par la case prison. Ce qui achève de lui donner cette crédibilité qu’il a tant envié à Soljenitsyne, «le barbu», le prophète rescapé du goulag dont il méprise la docte sagesse.

C’est pour comprendre ce que la «vie romanesque et aventureuse» de Limonov raconte «sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale» qu’Emmanuel Carrère écrit ce livre. Et c’est bel et bien le bouleversement de l’équilibre mondial à travers l’histoire moderne de la Russie qu’il embrasse dans ce portrait, des débuts de la Guerre froide sous l’égide d’un Staline iconique aux années Poutine, en passant par la glasnost gorbatchévienne et l’effondrement de l’URSS. Cette Russie qui le passionne tant — à l’image de sa mère, l’historienne et secrétaire perpétuelle de l’Académie française Hélène Carrère d’Encausse qu’il évoque à maintes reprises —, Emmanuel Carrère en sonde l’âme grise et le cœur dur. Un caractère façonné par le pouvoir soviétique, habile à tromper les masses — à «faire que n’ai pas eu lieu ce qui a eu lieu» —, à museler la contestation et à dévaluer le prix de la vie. Un tempérament nourrit au goût rance de la pitance quotidienne et noyé dans le zapoï, une cuite fracassante et parfois fatale.

Cette sombre réalité, Emmanuel Carrère la lit dans les yeux de Limonov, l’opposant dans l’âme, la bête noire de l’Intelligentsia de tout poil (des écrivains à la solde du parti aux dissidents acclamés par l’Occident), qui avance contre le vent. Une forte tête qui a fait de la provocation son moteur, parfois son seul talent. La source de ses problèmes et la condition de sa survie. Edouard est élevé dans une telle vénération du bolchévisme tout puissant qu’il n’acceptera jamais qu’on en ternisse l’image ou qu’on l’enterre sous les couleurs de la démocratie, toute relative qu’elle soit. Il a connu le stalinisme mou de Brejnev, l’interdiction de tout contact avec les «dangereux virus occidentaux». Puis l’ouverture, la réhabilitation des textes prohibés et l’apparition des denrées occidentales inabordables. Il a vu le KGB devenir le FSB, le goulag laisser la place à des prisons tout aussi déshumanisantes. Il a vu la seconde puissance mondiale baisser sa garde puis s’agenouiller. Il a vu l’Europe centrale, dans son sillon, se démembrer.

Conteur hors pair, plus ambitieux que jamais, Emmanuel Carrère mène brillamment le récit d’une vie dans le grand mouvement de l’histoire. Sans temps mort, il déroule une langue vivante, mordante, imagée, et emmène la consensuelle biographie sur les chemins exaltants de l’aventure, que son capitaine au long cours soit un salaud ou juste la nécessaire antithèse de son temps, le vice ou la dissidence contre laquelle s’appuie la majorité vertueuse. Car la réalité est toujours plus complexe qu’il n’y paraît assène l’écrivain, et l’alternance bourreau-victime une triste caractéristique de l’humanité. Parfois bienveillant avec le «sale type», il s’en justifie par une étique empruntée au bouddhisme. Et, plus loin, ajoutant son expérience au tumulte, il bat sa coulpe de petit bourgeois, ressuscite ses émois de jeunesse mais se sait déterminé par son milieu social. Quand bien même il se fait un devoir de s’en détourner.

Comme l’a fait Limonov, «l’écrivain voyou (…), le guérillero traqué, l’homme politique responsable, la vedette à qui les pages people des magazines consacrent des articles enamourés». Le diable russe, résistant et terroriste, qui, vingt ans après la dissolution de l’URSS, est devenu presque respectable à force d’en attiser la nostalgie. Au mépris des vingt millions de morts du stalinisme et dans le souci de l’honneur perdu.


«MyBoox.fr», 2 septembre 2011

Eduard Limonow

Original:

Thomas Flamerion

Limonov, notre invraisemblable contemporain

// «MyBoox» (fr),
02.09.2011