»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



Die unautorisierte Webseite zum Buch.
Von den Machern von Limonow.de

zurück

L'Événement Carrère

Christophe Ono-Dit-Biot

Sulfureux. De la vie de l'écrivain Edouard Limonov, Emmanuel Carrère a fait un roman d'aventures.

À une époque où plus personne ou presque ne connaît le nom de Lermontov, il est peu probable que celui de Limonov dise grand-chose à grand monde. Sauf à ceux qui frayèrent avec la bande de Jean-Edern Hallier au mitan des années 80 ou à d'autres, qui se baignèrent un jour avec de jeunes écrivains de Nijni Novgorod qui n'avaient à la bouche que son nom — ainsi que le goulot de quelques bouteilles de vodka bien glacée. Limonov est aujourd'hui le titre d'un roman d'Emmanuel Carrère, comme Malcolm X et JFK ont été, au cinéma, les titres de films de Spike Lee ou d'Oliver Stone. Pourtant, contrairement à Malcolm X ou John Fitzgerald Kennedy, l'écrivain Edouard Limonov est toujours vivant. Il n'a pas non plus leur portée politique, même s'il est, depuis quelques années, opposant à Poutine. Que lui vaut donc cet honneur?

Précisément, il est vivant. Pas seulement cliniquement: il vit vraiment, bien que cela le conduise à nager dans des eaux idéologiques souvent boueuses. Né en Ukraine en 1943, ce François Villon de l'ère postcommuniste a connu toutes les soifs et toutes les poires, commis tous les coups d'éclat et tous les dérapages. Poète et voyou à Kharkov, clochard puis maître d'hôtel de milliardaire à New York, icône des lettres à Paris, «frère» d'armes — à deux reprises — de l'ordure Arkan dans les Balkans, Limonov est aussi le chef du Parti national-bolchevique au sinistre blason.


Dérivation métaphorique

Nostalgique de Staline, il a pourtant été salué par la vertueuse Anna Politkovskaïa. Rêvant — et l'écrivant — de passer les ouvriers à la mitrailleuse, il a été néanmoins pris pour partenaire de jeu par le champion de l'opposition démocratique, Gary Kasparov. Sa vie «est intéressante». C'est lui-même qui le dit (voir notre interview), et il est pour une fois modeste. Car il est peut-être le seul, comme Carrère le note page 34, à pouvoir remarquer que les lavabos en acier brossé de la prison d'Engels, sur la Volga, sont les mêmes que ceux d'un célèbre hôtel design de Manhattan. «Il s'est demandé, écrit Carrère, s'il existait beaucoup d'autres hommes au monde dont l'expérience incluait des univers aussi variés que celui d'un prisonnier de droit commun dans un camp de travaux forcés et celui de l'écrivain branché évoluant dans un décor de Philippe Starck.» Sa vie n'est pas intéressante: sa vie est un roman, il fallait bien qu'un romancier s'empare de sa vie. À quoi ça sert d'inventer quand on a devant soi la synthèse, version destroy, des trois mousquetaires réunis? C'est du caviar.

Emmanuel Carrère, pour une fois, s'efface presque devant cette autre vie que la sienne: c'est encore plus fort. Déroulant le tapis déchiré de la vie d'Edouard le dingue, il en fait un pur roman d'aventures autant qu'une traversée de l'histoire russe. On ne lâche pas, tant c'est écrit sec et cru, avec des phrases d'une densité rapide, gorgées de détails explosifs. Limonov, rappelons-le, est un pseudonyme tiré du mot russe limon, qui signifie «citron» et, par dérivation métaphorique, «grenade» (limonka). Le récit de son enfance ukrainienne, sa haine de la famille et sa théorie du «Capitaine Lévitine» (le type qui, dans la vie, vous passe toujours devant alors que vous êtes meilleur) valent leur pesant de koulibiac. Sa tranche de vie new-yorkaise est savoureuse et salée: Le poète russe préfère les grands nègres, son premier livre, aurait pu être signé Henry Millov. «Ennuyeux et pornographique», dira l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse, à laquelle Limonov osa envoyer un exemplaire ainsi dédicacé: «Pour Carrère d'Encausse, du Johnny Rotten de la littérature.» No future pour Limonov? On sait qu'il veut se présenter contre Poutine en 2012. Le roman vrai de Carrère va, lui, remporter tous les suffrages.


«Le Point.fr», 1 septembre 2011

Eduard Limonow

Original:

Christophe Ono-Dit-Biot

L'Événement Carrère

// «Le Point» (fr),
01.09.2011