»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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Emmanuel Carrère et T.C. Boyle: l'art de raconter la vie (agitée) des autres

Céline Ngi

Qui est Edouard Limonov? Si vous ne le connaissez pas, une recherche rapide sur Internet vous apprendra: écrivain et dissident russe, fondateur du Parti National-Bolchévique; une réputation de rouge-brun nécessairement sulfureuse. Mais est aussi le héros (et le titre) du nouveau roman d'Emmanuel Carrère, à paraître en août chez P.O.L. Et l'extrait choisi pour la quatrième de couverture en dit d'ailleurs un peu plus: «Il a été voyou en Ukraine; idole de l'underground soviétique sous Brejnev; clochard, puis valet de chambre d'un milliardaire à Manhattan; écrivain branché à Paris; soldat perdu dans les guerres des Balkans; et maintenant, dans l'immense bordel de l'après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d'un parti de jeunes desperados».

Une vie pour le moins mouvementée. Sans trop en révéler pour le moment, on peut dire que Carrère, qui semble se tenir au projet de raconter d'autres vies que la sienne, si bien formulé dans son dernier livre, ne gâche pas sa matière. Au contraire, son Limonov, biographie romancée ou roman biographique, on l'appellera comme on veut, tient si bien la route qu'il nous rappelle à certains égards l'excellent roman d'un autre maître du genre, Les Femmes de T. C. Boyle.Le rapprochement paraît étrange ou intenable aux premiers abords: Les Femmes retrace la vie de Frank Lloyd Wright, architecte américain et avant-gardiste né au XIXe siècle (mort en 1959), grand fondateur et gourou d'une communauté utopique basée à Taliesin, resté dans l'Histoire pour plusieurs de ses réalisations, dont l'Hôtel Impérial de Tokyo, ou le Musée Guggenheim à New York. Rien à voir a priori avec l'autre, Limonov, ce Russe né en 1943, poète belliqueux qui troque sans état d'âme sa plume contre la kalach, grillé à plusieurs reprises sur des idées très moyennement acceptables (il y a eu, entre autres, ses collaborations à L'Idiot International, son interview respecteuse de Karadžič, et surtout l'orientation douteuse de son Parti National-Bolchévique).

Et pourtant, d'un point de vue romanesque, Wright l'architecte et Limonov l'écrivain-soldat ont plus d'un point commun. L'un des plus évidents, c'est la façon dont les femmes marqueront les grandes étapes de leur vie. Catherine, Miriam, Mamah, Olgivanna pour le premier. Anna, Elena, Natasha, Nastia pour le second. Assez fréquent dans la vie des hommes, certes; mais ce qui l'est un peu moins, c'est la façon extrême dont ces deux-là vivent ou provoquent leur rupture. Sans que le mystère soit vraiment élucidé, il est possible (dans le roman du moins) que Wright ait pu mettre lui-même le feu qui a ravagé son oeuvre et emporté l'une de ses femmes. Limonov, après s'être fait plaqué, va quant à lui faire quelques expériences radicales, comme... se faire enculer par des jeunes Noirs dans les quartiers glauques de New York. Les deux personnages ont besoin de toucher le fond — tout réduire en cendres — pour mieux se refaire. Bref, tout comme Nietzsche a dit. Hobbes traîne dans le coin lui aussi. Petit garçon, Limonov, élévé par une mère tout sauf tendre, comprend une vérité essentielle, et décide de choisir son camp: «il sera un homme qu'on ne frappe pas parce qu'on sait qu'il peut tuer». Frank Lloyd Wright ne se distingue pas non plus par sa douceur envers autrui: «Très tôt dans l'existence, j'ai dû choisir entre mon arrogance naturelle et une humilité de façade; j'ai opté pour mon arrogance». Doublée d'une hygiène de vie impeccable (Wright dessine sans relâche, Limonov est un homme qui se lève tôt), cette ligne de conduite est celle qui fera d'eux des grands hommes, en même temps que des vrais salauds.

A entendre le résumé de leur vie, on croirait que la première destinée de Frank Lloyd Wright et Edouard Limonov était de devenir des personnages de roman. Heureux pour eux que la métamorphose se soit accomplie sous des plumes affûtées. Celle d'un Américain à l'allure sympathique et punk, et celle d'un auteur français au sourire sérieux. Là aussi la comparaison est étrange. (Si l'on se permet d'autres rapprochements foireux, on trouvera aussi que T.C. Boyle ressemble physiquement plutôt à Limonov, le héros... de Carrère, mais il ne faut pas pousser.) Il y a le gros roman américain et il y a le roman français de chez P.O.L. Qu'est-ce qui nous prend de les coller ensemble? Une façon de glisser que ces deux romans, Les Femmes d'un côté et Limonov de l'autre, se ressemblent dans l'excellence. Et comme ça, en attendant la sortie du second, et si ce n'est pas déjà fait, vous pouvez lire le premier, paru il y a quelques mois en Livre de Poche.


«Premiere», 20.07.2011

Eduard Limonow

Original:

Céline Ngi

Emmanuel Carrère et T.C. Boyle: l'art de raconter la vie (agitée) des autres

// «Premiere» (fr),
20.07.2011