»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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«Poutine règne par la violence du mensonge»

L’écrivain et opposant Edouard Limonov a été exclu des élections législatives de dimanche. Entretien avec celui qui affirme vouloir être candidat à la présidentielle du 4 mars 2012.

Edouard Limonov, 68 ans, sent le soufre en Russie comme à l’étranger. Ancien poète dissident, marginal à New York puis à Paris, paramilitaire pro-serbe, il est resté un écrivain égocentrique et surtout le leader politique du Parti national-bolchevique (interdit). Exclu des élections législatives de dimanche en Russie, il annonce qu’il sera candidat contre Vladimir Poutine à la présidentielle du 4 mars 2012. Il reçoit dans un appartement à la décoration spartiate: quelques photos de lui accrochées aux murs blancs et une batte de baseball stratégiquement placée près de la porte d’entrée.

– L’opposition radicale, dont vous faites partie, n’a pas été autorisée à participer aux législatives du 4 décembre. Comment voyez-vous la situation évoluer?

– Il se prépare une fraude électorale monumentale. Et il ne s’agit pas seulement de fraude, c’est un système de mensonge total. Poutine règne par la violence du mensonge. Les méthodes employées sont toujours celles du tsar: la violence politique est considérée comme normale.

– Est-ce que vous craignez pour votre sécurité?

– Je serai probablement arrêté le 4 décembre, car j’irai protester contre ce simulacre d’élections. Il faut agir tout de suite. Ce sera surtout dangereux avant la présidentielle.

– L’opposition réagit en ordre dispersé. Pourquoi n’avez-vous pas réussi à constituer un front commun?

– J’ai toujours pensé qu’il fallait monter une coalition pour lutter contre ce pouvoir totalitaire, même avec des gens qui sont idéologiquement très éloignés de moi. J’ai toujours pensé qu’il fallait un chef à l’opposition, une personnification de cette opposition. Souvenez-vous de la Pologne: c’était Lech Walesa. En Afrique du Sud, c’était Nelson Mandela et en Tchécoslovaquie, c’était Vaclav Havel. Tous avaient leurs faiblesses, Havel, Walesa, et Mandela non plus n’est pas un saint. Mais il faut choisir quelqu’un qui soit le symbole. Je pensais que Garry Kasparov [l’ancien champion du monde des échecs] pouvait être l’homme de la situation parce qu’il n’est pas un politicien professionnel. Il vient d’une autre sphère, il n’est pas mouillé dans la gabegie des années 1990. Il a tellement de qualités. Pendant cinq ans, j’ai été l’allié fidèle de Kasparov. Mais, un beau jour, il a été arrêté à l’issue d’une manifestation et détenu quatre jours. Après cela, il a pratiquement disparu de la vie politique. Ces libéraux manquent de courage physique.

– Personne n’a votre estime parmi des opposants comme Vladimir Milov, Vladimir Ryjkov, Boris Nemtsov, Mikhaïl Kassianov?

– Dans l’opposition libérale, ce sont tous des anciens du système qui ont été rejetés. L’idée même de réunir les nobles de l’ancien régime est idiote. Prenez Kassianov, c’est un ancien premier ministre, Nemtsov est un ancien vice-premier ministre, Ryjkov un ancien député, Milov un ancien vice-ministre. Nos citoyens considèrent que ce qui s’est passé durant les années 1990 fut un désastre pour le pays, à cause de la chute du niveau de vie.

– Pensez-vous pouvoir incarner l’opposition à la manière d’un Walesa ou d’un Havel?

– C’est vrai que je ne suis pas le candidat universel de l’opposition. Mais je suis acceptable par les différents groupes de notre société. C’est mon regard très froid et lucide sur moi-même. Je ne souffre pas de la folie des grandeurs. Je suis un écrivain très populaire, j’ai toujours été patriote. J’ai été présent sur tous les points chauds de notre histoire des trente dernières années: j’étais à la Maison Blanche [le parlement, sur lequel Eltsine a fait tirer les chars en 1993]; j’ai participé à la guerre de Yougoslavie, ce qui plaît énormément à l’électorat nationaliste. Je suis le seul leader politique à avoir passé quatre années en prison. Je n’ai pas été emprisonné parce que j’ai volé le business de quelqu’un. J’ai été accusé d’organiser une insurrection au Kazakhstan [ancien satellite de Moscou au temps de l’URSS], que les grands-mères considèrent toujours comme une province russe.

– Etes-vous nationaliste?

– Non, j’ai commencé avec un parti qui était un mélange d’idées de droite et de gauche, avec l’intention de mélanger. Le national-bolchevisme est une idée qui n’a pas trempé dans le sang comme le nazisme ou le communisme. Ce n’était peut-être pas la meilleure idée, surtout pour les gens bourgeois et cultivés… Mais nous avons réussi avec ce mouvement radical à réunir les éléments les plus énergiques de la jeunesse russe. J’ai créé un parti qui n’est pas encore cassé après dix-huit ans d’existence. Le parti est interdit, dix activistes ont trouvé la mort – il ne s’agissait pas d’accidents –, une centaine de membres sont passés par la prison, et le parti n’a toujours pas été écrasé.

– Comment vous voyez-vous à travers la biographie de vous qu’a récemment publiée Emmanuel Carrère?

– Ce livre est une somme de légendes, c’est la création d’un mythe. Carrère a créé un mythe à partir de mes récits, de ma vie, qui est peut-être encore plus compliquée qu’il ne le croit. Je suis reconnaissant, car j’ai toujours pensé que je suis digne d’incarner un mythe. Je n’ai pas réussi à créer un mythe avec mes romans en France, lui, il y est parvenu.


Emmanuel Grynszpan | «Le Temps.ch», 3 décembre 2011

Eduard Limonow

Original:

Emmanuel Grynszpan

«Poutine règne par la violence du mensonge»

// «Le Temps» (ch),
03.12.2011