»LIMONOW«


von
Emmanuel Carrère



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Limonov: «Staline régnait par la violence, Poutine, par le mensonge total»

Edouard Limonov, héros du livre d'Emmanuel Carrère, prix Renaudot 2011, qui a décidé d'être candidat à la présidence de la Russie a été interpellé en marge des manifestations anti-Poutine de ces derniers jours. L'Express a rencontré à Moscou ce provocateur-né.

Chez Edouard Limonov, au cinquième étage d'un immeuble moscovite sans âme situé dans un quartier de la classe moyenne, c'est un garde du corps qui vous ouvre la porte. Juste derrière, tout de noir vêtu, se tient, en chair et en os, le sulfureux personnage du roman d'Emmanuel Carrère — Limonov (P.O.L), prix Renaudot et best-seller (plus de 120.000 exemplaires, selon Edistat).

Edouard Veniaminovitch Savenko, alias Limonov (68 ans), est un chat à neuf vies: voyou en Ukraine, dandy underground à Moscou, poète, valet de chambre à Manhattan, écrivain à Paris (1980-1989), soldat dans les Balkans, chef du Parti des "natsbols" (national bolchevique) — interdit —, prisonnier politique.

Avenue Lénine, dans le sud-ouest de la capitale, son appartement spartiate de 100 mètres carrés est aussi chaleureux qu'une cellule de prison. Quelques chaises, des tables, un lit, un bureau et, au mur, des photos. Autobiographiques, comme ses livres. Une image, prise de Notre-Dame, embrasse Paris, où il n'a pas remis les pieds depuis vingt ans. Sur le mur d'en face, un cliché de 2002 le présente menotté et la crinière avantageuse. «Derrière les barreaux, conserver ses cheveux relève de l'acte de résistance», précise le coriace agitateur.

Actuellement, il codirige Stratégie-31, un mouvement antisystème qui se réunit tous les 31 sur la place Triumfalnaya, à Moscou, pour réclamer le droit à la liberté de réunion garanti par l'article 31 de la Constitution. Ces sorties lui ont valu une vingtaine d'arrestations, de quelques heures ou de quelques jours. L'Express a rencontré Limonov une dizaine de jours avant l'annonce de sa candidature à l'élection présidentielle en Russie, qui aura lieu en mars 2012, et de l'abandon de la nationalité française, acquise dans les années 1980, par «devoir envers le peuple russe».

— Le livre d'Emmanuel Carrère a fait de vous un personnage central de la rentrée littéraire en France. Cela vous amuse?

— C'est une posture très agréable que celle de héros d'un roman populaire! J'espère pour Emmanuel Carrère qu'avec le prix Renaudot les ventes vont s'envoler. Et j'espère pour moi que ce succès va relancer l'intérêt pour mes livres, Le Petit Salaud, Autoportrait d'un bandit dans son adolescence, Journal d'un raté, réédités par Albin Michel.

— Le Limonov du roman est-il conforme à l'original?

— Lorsque l'auteur m'a posé cette question, j'ai refusé de lui répondre. Un jour, peut-être, je dirai ce que j'en pense. Emmanuel Carrère ne m'a jamais sollicité ni soumis la moindre page pour relecture. Mais il a lu tous mes livres, tous mes articles: c'est du bon boulot. Un écrivain russe aurait probablement tiré un livre et un portrait différents.

— Quelle est celle de vos vies — voyou, clochard, valet de chambre, écrivain, soldat, politicien... — que vous préférez?

— Mais je n'ai eu qu'une seule vie! Emmanuel Carrère envisage ces séquences comme les pièces d'une mosaïque invraisemblable. Selon moi, il s'agit d'un ensemble très cohérent... à quelques rares exceptions près.

— Des jurés auraient écarté Limonov de la liste du prix Goncourt, au prétexte que vous seriez particulièrement antipathique...

— Cela ne me surprendrait pas. J'ai lu les commentaires négatifs de Didier Decoin, secrétaire général de l'académie Goncourt. Son point de vue reflète le genre de pensée en vogue en France, pays idéologiquement démodé et archaïque.

— Démodé, archaïque?

— Les intellectuels français sont hantés par le passé et enfermés dans des dogmes. Ils vivent à l'époque du stalinisme et du nazisme. Leur univers est manichéen. Mon désaccord remonte à la guerre des Balkans: pour eux, bombarder la Serbie était un acte généreux, tandis que se ranger — comme je l'ai fait — au côté des Serbes, était diabolique. Aujourd'hui, ils sont convaincus, avec Bernard-Henri Lévy, le troubadour de la bourgeoisie française, qu'il y a de la noblesse à bombarder la Libye...

— Quels souvenirs gardez-vous du leader serbe Radovan Karadzic, sous les ordres duquel vous avez combattu, aujourd'hui emprisonné à La Haye?

— Comparé à ses généraux, Karadzic était l'homme de la modération. Sans être une colombe, il n'était pas un faucon. Les circonstances de la guerre civile l'ont poussé aux extrémités. Comme les leaders croates et musulmans.

— Vous aimez la guerre?

— Tous les grands écrivains — Cervantès, Hemingway, Malraux... — ont aimé la guerre. L'homme s'y révèle dans ce qu'il a de meilleur ou de pire. Comme en prison.

— Dans Journal d'un raté, il est beaucoup question de «baiser» et de «tuer». Laquelle de ces activités procure le plus de jouissance?

— L'âge avançant, l'activité qui me procure le plus de plaisir, c'est la réflexion.

— Ce livre, réédité, figurait parmi la sélection du prix de Flore. Mais le vainqueur a été Du temps qu'on existait, de Marien Defalvard (Grasset). Déçu?

— J'aurais volontiers accepté le chèque de 6.000 euros... Mais je ne crois pas aux prix, seulement à ma valeur. Les seules récompenses qui vaillent sont les revolvers reçus pour faits d'armes dans l'ex-Yougoslavie, comme ce pistolet de l'usine Etoile rouge de Belgrade. C'est la plus belle distinction: celle du respect de mes pairs pour mon courage.

— Quel souvenir gardez-vous de vos années parisiennes, de votre collaboration à L'Idiot international, le journal de Jean-Edern Hallier?

— Ce fut peut-être la période la plus heureuse de ma vie: j'ai trouvé la bande de copains dont je rêvais. L'équipe de L'Idiot international était un concentré de talents. Parmi la liste des éligibles aux prix littéraires cette année, il y avait trois anciens collaborateurs: Charles Dantzig, Romain Slocombe et Morgan Sportès (NDLR: prix Interallié). Ajoutez Michel Houellebecq, qui écrivait sur le théâtre, Patrick Besson, dont j'étais proche, Philippe Sollers ou encore ce grand emmerdeur devant l'éternel qu'est Marc-Edouard Nabe, et vous aurez une petite idée du joyeux bordel régnant chez Jean-Edern Hallier. Son appartement, où était installée la rédaction, donnait sur la place des Vosges. Sa gouvernante Louisa servait les repas dans des saladiers géants. Il y avait vingt, trente convives, comme dans un banquet, le vin coulait à flots. Mais personne n'était ivre.

— Pouvez-vous nous décrire le maître des lieux?

— Formidable, explosif: il avait un style de vie «champagne». Il nous enchantait par ses bons mots et ses formules. Nous vivions tous les deux dans le Marais, mais, moi, dans une mansarde, au 86, rue de Turenne... Nous nous voyions souvent, généralement de bon matin, car il était insomniaque. Dès le petit déjeuner, il carburait à l'alcool.

— A quoi rêviez-vous à l'époque?

— Je voulais maîtriser la langue française jusqu'à l'excellence afin de devenir un écrivain connu. J'ai abandonné cette idée, je ne me voyais pas finir en académicien pédophile et alcoolique! Cette perspective me dégoûtait.

— Quelle était l'ambiance du Paris des années 1980?

— Paris était la capitale mondiale de la culture, elle dégageait une énergie extraordinaire. Pour moi, Paris représentait la possibilité de devenir écrivain, grâce à mon premier éditeur, Jean-Jacques Pauvert. Après chaque journée d'écriture, j'allais me promener au bord de la Seine. Je me souviens aussi avoir été invité sur le plateau de Bains de minuit, une émission de Thierry Ardisson, en compagnie de Vanessa Paradis et de Jean-François Deniau. Plus tard, j'ai lu les Confessions d'un baby-boomer de l'animateur télé: un vaniteux.

— Votre fonction à L'Idiot international?

— Jean-Edern a fait de moi le spécialiste de la Russie. J'ai été le premier à critiquer la perestroïka de Gorbatchev dans un article intitulé «Après la disparition des barbares». J'ai compris le premier que la fin de l'URSS signifiait le début d'un désordre mondial.

— Comment définissez-vous le pouvoir russe actuel?

— C'est le régime de la mystification absolue. Staline régnait par la violence, Poutine, par le mensonge total.

— Le retour prévisible de Poutine à la présidence vous inquiète-t-il?

— Au contraire. Je le préfère à Medvedev, personnage fuyant et insaisissable. Poutine incarne le mal de manière plus nette. Il est plus facile de combattre quelqu'un qui a les traits du diable.

— Votre objectif politique?

— Obtenir des élections libres non truquées. Mon devoir, c'est de lutter contre le «néotsarisme» poutinien.

— Quels sont vos soutiens?

— J'étais allié avec les leaders de différents partis bourgeois, ceux de l'ancien Premier ministre russe Mikhaïl Kassianov, de l'ex-vice-Premier ministre Boris Nemtsov, de l'ancien champion d'échecs Garry Kasparov... Mais ils manquent de courage. Ils se contentent de lancer des slogans sur Internet. Je propose de manifester en masse contre l'absolutisme. Nous sommes peu nombreux, mais les choses peuvent changer. Regardez l'Egypte. La population s'est tue pendant trois décennies, puis, un beau jour, elle a fait tomber Moubarak. La Russie doit l'imiter.


Axel Gyldén et Alla Chevelkina | «L'Express», 20 novembre 2011

Emmanuel Carrère

Original:

Axel Gyldén et Alla Chevelkina

Limonov: «Staline régnait par la violence, Poutine, par le mensonge total»

// «L'Express» (fr),
20 novembre 2011